C’est en ce moment la période des examens pour beaucoup de mes correspondant(e)s : TPE, (c’est déjà passé), bac blanc, vrai bac, partiels, concours, conservatoire de musique....
Certaines d’entre vous me parlent de leur trac et de la peur de la “panne sèche”, alors qu’elles ont bien révisé et pensent savoir leur cours ou leur partition.
Vous avez répété votre exposé ou joué votre morceau des dizaines de fois. Vous êtes prête, concentrée sur votre objectif : sourire, et parler fort et distinctement ou jouer avec sentiment.
Mais voilà qu'arrivé devant le tableau ou sur l’estrade face au jury, vous restez figée, comme un animal apeuré dans les phares d'une voiture, incapable d'articuler la moindre syllabe ou de retrouver un doigté assez rapide sur le piano ou le violon.
Nous avons tous vécu cette expérience. Pourquoi cette “panne” parfois, précisément dans les situations importantes ?
Le responsable : l'organisation de notre cerveau. Lorsque nous avons répété une action au point de l'accomplir sans avoir à y réfléchir, des systèmes inconscients sont à I'œuvre, gérant automatiquement les processus nécessaires.
Si nous nous faisons à nouveau trop attention aux actes à accomplir, par exemple sous l'effet du trac, le traitement conscient interfère avec ce traitement automatique et notre corps ne sait plus qui suivre, comme l’ordinateur qui reçoit des ordres contradictoires pour la même action.
Dans un premier temps je vais vous expliquer le processus cérébral et demain j’essaierai de voir ce qu’on peut faire pour éviter ces catastrophes.
Voyons d’abord comment notre cerveau apprend peu à peu une tâche motrice complexe. C’est vrai pour des apprentissages compliqués comme parler, lire ou écrire conduire une voiture, être en équilibre sur un vélo, jouer du piano ou taper sur un clavier d’ordinateur, suivre un itinéraire.... ou pour des tâches plus ponctuelles telle que jouer un morceau de musique ou faire un exposé oral.
Ce processus a été étudié dès 1967 par des psychologues américains Paul Fitts et Michael Posner qui ont montré que des centres différents du cerveau qui contrôlent l'exécution des tâches, changent à mesure que l'apprentissage progresse. Alors que les débutants apprennent pas à pas, les personnes expérimentées effectuent leurs actions essentiellement en dehors du contrôle de l'attention, de façon automatique et qui distinguent ainsi trois phases d'apprentissage : une phase cognitive, où l'apprentissage repose sur des critères verbaux; une phase associative, où le contrôle se borne à l’enchaînement de séquences déjà assimilées; et une phase autonome, où les tâches sont automatiques, de sorte que le sujet peut pratiquer une autre activité en même temps.
Les neurobiologistes distinguent de même le traitement contrôlé de l'information et le traitement automatique. (voir le schéma ci-dessous)
Le cortex cérébral frontal est le siège de l'apprentissage et de la pensée consciente. Le cervelet intègre les séquences apprises pour produire des mouvements automatiques, dont nous n'avons plus conscience.
Le cervelet est connecté au cortex cérébral frontal et au cortex moteur qui commande nos membres et nos gestes.
Les aires motrices du cortex sont reliées aux neurones du tronc cérébral, lesquels commandent ensuite à nos membres, via la colonne vertébrale.
Pour la parole c’est un peu plus compliqué car les centres de Broca (élaboration de la parole) et de Wernicke (compréhension de la parole) sont mis en jeu, ainsi que le centre de Geschwind qui est l’aiguilleur du vocabulaire, (voir mes articles sur la parole : notre cerveau, août et novembre 2007), mais des mécanismes analogues mettent en jeu, mémoire sémantique, cervelet et ces centres de la parole.
De plus, entre les divers centres du cerveau et le cortex frontal, deux “centres tampon de stockage provisoire de transfert” (la mémoire de travail : voir mes articles sur la mémoire du 1er février 2009) stockent provisoirement des informations, sémantiques pour l’un , audiovisuelles pour l’autre, en attente de leur transfert pour utilisation alors que le cortex est occupé à une tâche donnée.
Lorsqu'un sportif, par exemple, apprend un nouveau geste, ou un pianiste un nouveau morceau, c'est le traitement contrôlé de l'information qui est en jeu. L'attention est alors dirigée sur les détails de l'exécution du geste et elle est peu disponible pour d'autres opérations.
Le cortex frontal est attentif au geste à faire pour obtenir un résultat, ou sur les notes à déchiffrer et le phrasé musical, et il commande au cortex moteur les gestes à faire, un par un et dans le détail.
Mais en même temps il informe le cervelet de ce qu’il fait.
Il n’obtient pas tout de suite le bon résultat, mais une partie, une séquence est au point, alors pour cette séquence, il va faire confiance au cervelet qui donnera les ordres à sa place, et le cortex va se consacrer à ce qui n’est pas encore au point. Il apprendra ainsi peu à peu au cervelet l’ensemble des geste ou du morceau et le cervelet pourra alors exécuter seul l’opération.
À mesure que le geste est maitrisé, le traitement automatique prend le relais et le cerveau fait de moins en moins appel au système de traitement central de l'information, (le cortex frontal et ses mémoires de travail). Le sujet peut exécuter le mouvement de façon sûre et rapide. Cette automatisation de la tâche demande moins d’attention, de sorte que l'attention peut se focaliser sur d'autres tâches. Un instrumentiste entraîné peut ainsi jouer de manière automatique un morceau et j’ai vu à l’opéra des musiciens discuter de leur journée du dimanche en jouant parfaitement leur partition.!
Dans le cas d’un exposé le problème est un peu plus complexe. Le cortex frontal se désengage moins et le cervelet n’est concerné que par des automatismes généraux, comme manier son ordinateur et Powerpoint, gestuelle et commande de la voix; mais c’est l’hippocampe, intermédiaire avec la mémoire qui joue le rôle joué auparavant par le cervelet. C’est lui qui a “appris” certaines séquences de mémorisation de l’exposé et qui va donc les restituer sur appel du cortex frontal, avec une simple surveillance de cohérence et d’enchaînement de celui-ci.
L’attention et les mémoires tampon restent occupées par l’exposé et ne peuvent pas être utilisées à autre chose, mais cependant elles ne sont pas encombrées par les détails de l’exposé et peuvent aussi par exemple, recueillir des réactions des visages des auditeurs de l’exposé.
Ceci à condition que tout se passe bien.
Là aussi quand nous avons un problème, notamment dû au stress, les raisons sont un peu différentes quand il s’agit de “gestes manuels” ou d’un exposé oral, utilisant mémoire et parole.
Dans le cas du geste sportif (comme le golf ou le tennis) ou du pianiste, des études ont montré que si l'on tente de vérifier une tâche motrice en cours, on risque de bloquer son automaticité, comme si le cortex essayait de reprendre le contrôle des opérations comme au début de l’apprentissage.
Imaginez que vous soyez en train de jouer du piano. Si vous vous fiez à votre mémoire motrice du cervelet, les commandes motrices programment automatiquement la prochaine note et les mouvements de vos doigts en environ 50 millisecondes. Il suffit que vous vous mettiez à penser à votre jeu pour que cette séquence ultrarapide de commandes motrices s'arrête net. Il faut alors 100 millisecondes pour que la première note jouée soit perçue par le cortex frontal et en admettant qu’il ait tout de suite la bonne réaction il faut encore au moins autant pour que l’ordre moteur soit transmis. En cas d’hésitation, ce sera plus long. Donc, en reprenant conscience de ce que vous jouez, vous cassez le rythme rapide de l'exécution du morceau.
Dans le cas de la “panne d’exposé” , c’est un peu plus compliqué, mais la cause générale est analogue. L’hippocampe a automatisé un enchâinement de rappels mémoire, d’enchaînement d’idées, de rappels de mots et de phrases vers le centre de Broca et votre cortex surveille sa cohérence en écoutant grâce au centre de Wernicke. Mais s’il veut reprendre commande du détail il perturbe l’enchaînement des rappels mémoire, les données se bousculent dans les mémoires tampons qui saturent et ne peuvent plus les accepter et c’est le blocage.
Dans l’article de demain, maintenant que nous avons une idée des causes de ces blocages, nous verrons quels remèdes apporter à ce risque d’accident.